Le tarot de Lilith # Autopsie

C’est un moment assez jubilatoire pour ses fans : comprendre ce qui se cache derrière une de ses séries les plus abouties. Et sans doute l’une des plus importante, au moins à ce stade de sa démarche artistique. Nous sommes heureux de publier ici in extenso l’analyse qu’elle fait de son magnifique « Tarot de Lilith ».

Nath-Sakura raconte « J’ai fait le pari de raconter une histoire très personnelle, très narcissique, partagée par peu de personnes sur la planète. En pariant que l’expérience de l’ultra-minorité à laquelle j’appartiens (les femmes transsexuelles), recelait une part d’universel. Et que chacune des expériences décrites au cours de 22 images qui suivent pouvait trouver un écho chez chacun. »

« C’est donc un acte militant, destiné à susciter de la compréhension et de l’empathie pour cette expérience. C’est aussi une façon de parler de mort et de renaissance, et de montrer à tous que la vie n’est jamais figée, et que tout y est possible, pourvu qu’on se batte. C’est un message d’espoir. »

1 – L’eau de Léthé

Chez les Anciens Grecs, on croyait que les morts, après une période où ils demeuraient dans les limbes et dans l’Hadès, revenaient à la vie, avec une autre identité. Pour qu’ils ne se rappellent pas de leur vie antérieure, ils devaient boire au fleuve Léthé, dont l’eau leur faisait oublier tous leurs souvenirs.

C’est une façon métaphorique d’inviter le spectateur à oublier ses préjugés, à rejeter ses certitudes pour renaître à un nouveau regard. C’est l’arcane magique d’une renaissance, la mienne, puisque c’est de cela que traite ce tarot, de manière infiniment narcissique. L’alpha de l’histoire d’une femme transsexuelle. Une histoire de souffrances, de philtres magiques, de passages, de meurtre de soi-même et de métamorphose. Modèle : Marie Cayrol

2 – L’aube

On est si seule au début du chemin qui mène à la renaissance. Désemparée, fermée au monde, enfermée, et pleine d’incompréhension. Myope sur soi-même, cachée derrière le masque qu’on nous a forcé à porter pour vivre comme les autres.

Face à un corps qui semble étranger, qu’on refuse (la combinaison en latex, qui interdit qu’on le touche) ou simplement qu’on ne comprends pas encore, ou qu’on ne cherche simplement pas à comprendre, parce que ce n’est pas d’actualité, perdue dans un univers de faux semblants, d’ombres et d’objets inutiles. Avec pour seul guide, la lumière de l’espoir. Qui transparaît pourtant à travers un œil de boeuf ici, et pas une fenêtre qu’on pourrait espérer ouvrir. Modèle : Sweety Karolyn

3 – Le triangle

Période de questionnement, d’introspection, de souffrance. L’engluement dans une peur qu’il est impossible de dépasser. L’emprisonnement dans la toile d’araignée de l’indécision, suspendue dans le vide. Perdue entre les trois termes d’une équation insoluble : soi-même, sa réalité visible, sa réalité rêvée. Tendre vers l’un des trois termes pour s’en dégager, c’est à coup sûr choir.

Aussi, on reste prisonnière, emmêlée dans ses contradictions, ses lâchetés, les alibis qu’on se donne pour ne pas agir. Le triangle est, avec le cercle, l’une des deux formes parfaites des Symbolistes. Mais ici c’est un triangle imparfait, qui évoque l’incertitude, le devenir, et la répétition. Car le triangle de cette arcane est une corde, avec une figure géométrique qu’on imagine varier autour du « triangle parfait » (équilatéral), sans jamais l’atteindre vraiment. Modèle : Jospéhine Pie.

4 – L’étrange lutte

Pour sortir du triangle, il ne reste plus qu’une altenative : mourir ou se battre. Mais c’est un peu la même chose, puisqu’il s’agit de se battre contre soi-même, contre une partie de soi, contre l’image qu’on vous renvoie de vous-même. C’est tuer l’homme.Mais c’est un combat étrange, car il y a évidemment de l’amour, du narcissisme, de l’égotisme et de la sensiblerie dans cette lutte à mort. C’est aussi un affrontement contre son éducation et ses tabous, contre son entourage, qu’on ne voudrait pourtant pas blesser, et qu’on blesse pourtant violemment. C’est l’adolescence et la quête maladroite. Il n’y a, entre le mot douceur et le mot douleur, qu’une lettre de différence. C,L. « C’est elle ». Ou bien, peut être, « elle sait »… Modèles : Alain Merlo et Julie sous X

5 – L’emprise

Pourtant, ce premier combat, même s’il est nécessaire, ne peut aboutir. A l’instar du Catoblépas qui, dans sa bêtise, dévore sa propre chair, se tuer pour survivre est une entreprise vouée à l’échec. D’abord parce que pour renaître, il faut être entière, sûre de soi, en paix avec sa dualité. Ensuite parce que le chemin de la renaissance passe par la soumission aux médecins, aux chirurgiens, aux juristes. « Tiens toi tranquille, ô ma douleur ». Il est l’heure d’apprendre l’humilité, la patience. De courber le dos, même si la rébellion et l’avidité couve, pour trouver dans cet assujettissement de façade les moyens d’avancer. Accepter que la métamorphose soit impensable par les autres, socialement incompréhensible, métaphysiquement insurmontable, pour mieux la contourner. Modèles : Sisera.

6 – Guerre froide

Trouver en soi la force de se relever, découvrir ses armes, se forger une invulnérabilité, tout en restant lisse, impassible, sourde aux agressions et aux moqueries. Savoir où l’on va, ourdir en secret les projets qui mènent à la réussite. C’est l’heure de la méditation active, de l’énergie secrète, des décisions et de la forge de la conscience. Après l’ubac (versant de la montagne exposé au nord) de l’Emprise, c’est l’adret (exposé au sud) qui s’annonce. La colère brûlante qui sourd sous la terre gelée. Ce n’est pas pour rien que la modèle porte une chapka de l’armée soviétique, pour tout ce que cela suppose de secrets, de complots et de mystères inviolés au cœur de la Sibérie. Et la guerre froide, pour tout ce qu’elle symbolise en équilibre précaire des forces. Modèle : Laurie. Sculptures : Dann Chetrit.

7 – L’éveil

Voilà l’heure de la prise de conscience. La fenêtre de « l’Aube » est ouverte. Tout est réuni désormais pour assurer la dynamique qui va permettre la Renaissance complète. Les conflits intérieurs sont réglés. Les fantasmes et les fausses convictions effacés. L’esprit est tellement limpide qu’on peut voir à travers (avec un clin d’œil photographique au 3e œil des bouddhistes enfin dessilé). Le rideau se déchire. Les choses sont désormais évidentes, et le chemin à suivre se dessine clairement. C’est la fin du premier acte. Modèle : Kalyce.

Nota : l’aube (II) + l’emprise (V) = L’éveil (VII)

Le triangle (III) + l’étrange lutte (IIII) = L’éveil (VII)

On peut jouer à faire ces même calculs avec les autres arcanes…

8 – Le reflet

Confiante et sûre de soi, sous les charmilles d’un éternel été, vient le premier éblouissement… et la première déconvenue. Il n’est jamais bon d’être aussi confiante à l’heure d’entamer une nouvelle aventure. Car on croit avoir déjà réussi, quand on vient seulement de lancer les dés de la nouvelle partie. On croise le reflet d’une jolie jeune femme dans le miroir et lorsqu’on s’y arrête plus longuement, le reflet disparaît, et la jeune femme tourne la tête, pour nous fuir. Nous laissant seule, désemparée. Modèle : Patricia.

9 – Déséquilibre

Pourtant, il faut avancer, coûte que coûte, en vivant à la fois pour soi-même et pour les autres la,dualité d’un être qui a du mal à exister. Plus vraiment homme et pas encore femme. C’est l’heure de la schizophrénie. Le déséquilibre qui rend fou et brise les êtres, mêle le vrai et le faux, le ressenti réel et les références sociales variables et antagonistes. C’est l’heure des hésitations dans le genre des adjectifs, des « ils » (ne savent-ils donc pas que nul homme n’est une île ?) qui chuchotent derrière les « elles » (les ailes). C’est l’heure où le traitement hormonal bouleverse l’esprit, perdu dans le cyclone d’une Révolution totale. La tentation est facile alors de s’enfermer dans la folie, de ne vivre que pour soi, en refusant le jugement des autres. C’est l’heure où les amis partent, les parents fuient, les employeurs licencient, et les amours vous quittent. Modèle : Méline Waxx.

10- Le double

On peut tenter de combattre la folie. On peut aussi choisir de s’y engouffrer toute entière, pour la connaître, l’apprivoiser, et s’en faire une alliée. Le double, c’est l’être qui se construit, qui semble longtemps étranger, qu’on a du mal à reconnaître comme « soi ». Sa bizarre nouveauté vous prend de cours. Ces seins, sont-ce les miens ? Cette courbe, est-ce mon corps ? Ce sentiment, qui m’était inconnu hier, vient-il vraiment de moi ? C’est aussi le moment où le reflet du miroir commence à exister concrètement, hors du cadre étriqué d’une observation solitaire dans un carreau de verre. C’est le moment où les choses apparaissent de manière tangible, quoiqu’imperceptible à ceux qui ne savent pas voir. Modèle Laurie. Sculpture : Dann Chétrit.

11 – La lignée

Un voyage solitaire, bâti en niant son passé et en hypothéquant son avenir, puisqu’il n’est pas sans risque, demeure un voyage inutile. Il n’y aura personne, dans le port où l’on va, à qui raconter ses exploits. C’est l’heure de la réconciliation avec un passé honnis, avec les parents et l’espérance d’un futur, d’une descendance, d’une espérance. C’est le lien entre son propre passé et son avenir. C’est le rêve du foyer, de la chaleur domestique, de la vie dans la société humaine. C’est la « normalité », la fin de la solitude et de l’égoïsme. Les femmes comme moi ne peuvent pas avoir d’enfants une fois quitté le quai, c’est sans doute notre plus grande douleur ; quand être femme c’est aussi porter la vie. Alors, pour certaines d’entre nous, nous créons. C’est une façon de donner naissance à quelque chose, malgré tout. Nath-Sakura raconte à avoir réussi à être mère (sa fille s’appelle Victoria), in extremis, pour passer le flambeau et m’inscrire dans une histoire qui dépasse ses égoïsmes. C’est à elle qu’est dédiée cette image, comme son dernier recueil. Modèles : Paola Butta et Alain Merlo.

12 – Le voyage immobile

Avez-vous entendu parler du « poteau noir » ? Cet endroit de l’Atlantique où les vents sont quasi-inexistants, et où la course d’un voilier, fusse-t-il léger et rapide, s’arrête brutalement (ou rencontre, au contraire des tempêtes d’une rare violence). Dérivant lentement au gré des courants, dans l’attente inquiète de la brise qui permettra d’en sortir et de recommencer à avancer vers le but. Pour des périodes qui durent parfois plusieurs semaines. Les marins chevronnés savent qu’ils devront traverser cette zone, en ignorant combien de temps cela durera. Et s’y préparent. C’est l’histoire des filles de Mars, des contrebandières que nous sommes, pour qui les progrès rapides des débuts précèdent une période infiniment longue de dérive et d’attente. Une errance digne de celle d’Ulysse dans l’Odyssée, sans arrêt éloigné d’Itaque, sans espoir de retour. C’est pourtant là que se forge l’assise stable de l’identité, que les hormones agissent secrètement et font basculer la psychè, où le changement « profond » et imperceptible de la conscience a lieu. Modèle : Némésis.

13 – Amertume

Nous faisons parfois des rêves si prégnants, si forts et si inaccessibles, que nous en sommes mortellement déçues lorsqu’ils se réalisent. « C’était donc ça ? Seulement, bêtement, ça ? ». C’est la crise mortelle qu’a du subir Colomb en croyant débarquer sur les riches côtes de Cathay après une si longue traversée pour ne fouler en réalité que la petite île de San Salvador. La découverte du côté obscur de l’aventure, et le dur revers du sentiment d’échec. La découverte du machisme, des promotions professionnelles qui vous filent sous le nez parce que vous êtes une femme. La rencontre avec l’infantilisation et les certitudes de supériorité des hommes. L’apparition dans leurs yeux du désir brutal, avec toujours, au bout du compte, le sentiment d’être considérée comme un objet. Moment charnel des bilans où l’ont fait les comptes, calculant le passif sans limite du prix des sacrifices, des privations et des souffrances, pour évaluer le maigre gain d’exister. Et juste corriger le péché originel d’être nées orphelines d’un X. Modèle : Seffana.

14 – La soif

On se relève de tout. D’abord parce que l’exploration douloureuse de son propre nombril n’a qu’un temps, surtout lorsqu’on s’inscrit dans une dynamique violente et ineluctable. Et ensuite parce qu’on découvre que le but du voyage n’est pas atteint. Lorsque, après une longue maladie, revient l’appétit, le désir de sortir, de vivre, de voir le soleil, et de profiter de sa caresse sur la peau. L’envie de se montrer, de se parer, de faire la fête. C’est une période solaire, une période de feu qui donne la soif de vivre. Malgré les difficultés, les imperfections, les à-peu-près. Peu importe alors les détails, tout devient possible. On est enfin délivrée de cent ans perdus à dormir dans le château abandonné. C’est le second éveil, plus violent que le premier, la cataracte de feu d’un volcan. C’est la fin du second acte. Modèle : Nath-Sakura.

15 – Terre du rêve

Le changement physique, la métamorphose visible, apparaît pour ce qu’il est, à ce stade du parcours : un élément secondaire. Absurde sans la véritable transfiguration, celle de l’esprit. Le cerveau, libéré de la testostérone, s’est mis à fonctionner différemment, se libérant des lourdeurs, de la volonté de puissance, de l’instinct de compétition immédiate, de la libido. Il est temps de se mettre en paix avec le nouvel équilibre, d’accepter la dualité. De découvrir en soi l’Occulte, la vie intérieure, de puiser aux sources de son essence, dans laquelle on se perd, on se noie ; mais aussi dans laquelle on se régénère, et on se purifie. Le rêve, peut pourtant facilement redevenir l’illusion du « Reflet », dans laquelle on peut se perdre, et revenir à la folie de « Déséquilibre ». Modèle : Satine of Marseille.

16 – La lampe sans feu

Nath-Sakura affirme aimer beaucoup cette arcane, car elle pose une question. La jeune femme porte t’elle une lampe dont la flamme s’est éteinte ? Ou bien porte t’elle une lampe qu’elle compte allumer ? C’est cette question que doit résoudre la voyageuse égarée qui accomplit le parcours initatique que raconte ce tarot, pour évoluer vers les arcanes supérieures. C’est la question de la finalité, du but profond. Il arrive qu’à force de trop se battre, pendant trop longtemps pour un but précis, on oublie celui-ci, on perde la passion (le feu). Et qu’on finisse par se confondre avec les moyens pour y arriver. Travailler (Némésis porte sa lampe comme on porte un seau d’eau, symbole du travail des femmes de jadis), se donner toute entière à une carrière, finir par se convaincre qu’on prend du plaisir à ce que naturellement nous aurions d’emblée rejeté. Travailler pour vivre et vivre pour travailler, en somme.

C’est notamment le cas, quand on fini par identifier les moyens (le transsexualisme, qui n’est qu’une transition) et la fin (la réconciliation identitaire, la renaissance). Chose que la plupart des gens font puisqu’éternellement, même lorsque le voyage, qui dure de longues années, est terminé, ils nous appellent toujours « transsexuelles ». Quand nous ne sommes plus, simplement, que des femmes, avec un 2 sur notre numéro de sécurité sociale et un F sur notre carte d’identité. Pourtant, cela n’est pas triste : perdre la flamme, cette chose oblongue, brûlante et dangereuse, c’est évidemment le dessein des filles de contrebandes… 😉 Modèle : Némésis.

17 – Bouleversement climatique

La chance, la grâce, la rencontre de sa complémentarité, n’arrivent souvent qu’après l’épreuve, qu’après la tempête. Le bouleversement climatique parle de la capacité à recevoir, de la communion étroite avec la Nature (la chaleur qui pousse à mettre un ventilateur, et le froid qui pousse à enfiler des bottes fourrées), se fondant en elle. C’est la rencontre, l’adhésion avec les Éléments, le chaud, le froid, le métal, l’animal (la fourrure), le végétal (la couleur verte du mur). Sur un éclairage en triangle équilatéral parfait (en opposition à l’arcane III, qui est un triangle imparfait). Elle représente l’état antérieur aux problèmes, aux malheurs, aux difficultés : une ère paradisiaque. La paix retrouvée. La nudité du modèle contribue à se sentiment de retour aux origines : là où tout était parfait, agréable. C’est le temps de la création, de naissance, de mise au monde non pas liée à la douleur ou au combat, mais rattachée à un âge d’or : comme, par exemple, les débuts d’une relation amoureuse riche en sentiments tendres, en attentions, en plaisirs. C’est le symbole de la réconciliation avec les forces violentes de la Nature (le bouleversement climatique m’a semblé terriblement d’actualité). De “sa” nature. Modèle : Nelly.

18 – La vanité

Pourtant, comme tout seigneur de l’Eden qui se respecte, vient le temps de l’orgueil et de la suffisance. Comment ne pas alors se croire l’égal de Dieu, alors ? Le temps du péché originel est venu. La satisfaction devient complaisance. La complaisance devient sentiment de supériorité (les marches de plus en plus grande d’un escalier titanesque qu’arpentent, au fond, si peu de monde), qui devient mépris, puis haine d’autrui (le revolver, qu’on peut aisément poser sur sa propre tempe). C’est un temps de souffrance et de mort (la tête sculptée et l’attitude du modèle), de rudesse et de cruauté (la pierre omniprésente). Là ou se fâne l’orgueil (le tournesol).

Avoir combattu tant d’années pour devenir ce que l’on est, en étant environnée de gens qui n’ont que le mérite d’être nés « dans le bon corps » rend vaniteux, dans les deux (mauvais) sens du terme.La vanité, c’est d’abord ce qui est vain, de ce dont la valeur est illusoire. Tout comme les Vanités du XVIII° évoquaient la précarité et l’inanité des existences humaines. Modèle : Uniqua.

19 – Le sucre

Il est des choses infiniment séduisantes qui ne sont que le produit des artifices humains. Nous passons toutes, nous les filles en plastique, par le complexe de la « Baby-doll ». On en fait trop alors, pour être aimée. C’est la forme dénaturée de la vanité de la lame précédente. C’est aussi le début de la nouvelle vie qui commence, où l’on doit revivre, tour à tour, l’enfance et l’adolescence. Infiniment receptives au regard des autres, fragiles au point qu’on nous dirait de sucre, tellement un rien peut nous détruire, c’est l’heure du don absolu, naïf, plein de candeur, où l’on se livre entière au jugement d’autrui, comme un enfant accepte le monde tel qu’il est. Quitte à en subir les pires outrages, qui ne sont plus si grave que ça au fond. On marche sur le fil étroit au-dessus du dernier précipice de l’acceptation, la souffrance et la lutte sont derrière nous. Il est temps, au seuil de notre nouvelle enfance, d’apprendre enfin à devenir nous-même. « On ne naît pas femme, on le devient » disait Simone de Beauvoir. Il nous aura juste fallu plus de temps qu’aux autres pour naître. Nous sommes prêtes à devenir. C’est aussi un clin d’œil amusé au sucre de la « sucette », qui fond, et disparaît, prélude nécessaire à l’arcane suivante. Modèle : Mina.

20 – Le chaudron

Le chaudron des sorcières. C’est là que s’opère la transmutation magique, loin des regards, avec des moyens abjects. On prend des choses répugnantes (des têtes de serpents crachant de la bave de chauve-souris), pour en faire un philtre d’amour. Et même si nos sorcières à nous ont des masques et des blouses blanches, le résultat est le même : transformer ce que nous rejetons pour en faire ce que nous sommes, l’impur en pur, le visible et le matériel en invisible et immatériel. Le chaudron, c’est aussi un receptacle, profond, étrange, où s’engendrent la source liquide des grands mystères de l’Univers, la vie, la naissance. C’est la nouvelle aube, les yeux grands ouverts, qu’on tient enfin entre ses mains, accessible, ouverte, lumineuse. Le chaudron c’est l’outil par lequel nous renaissons, et le réceptacle de notre renaissance. Les moyens et la fin, réunis, rassemblés. Modèle : Némésis.

21 – Lilith

Dans la Torah, la première femme d’Adam, c’est Lilith. Créée, comme lui, à partir de la glaise. Son égale. A la différence d’Eve, qui n’est qu’une partie d’Adam, puisque créée à partir de sa côte. Et moins obéissante qu’elle puisque Lilith refusa d’être au-dessous d’Adam pendant l’acte d’amour, arguant qu’elle n’avait pas à s’abaisser à le servir. Lilith, que les chrétiens ont eut tôt fait de consacrer en démon et reine des Succubes, c’est la femme libre. Libérée de toute les contingences matérielles, libérée de l’Homme, fière et sereine, réalisée.

C’est la femme qui a su se battre pour exister hors du parcours qu’on lui a tracé, qui s’est accomplie, à tel point qu’elle n’a plus besoin de se montrer ou d’utiliser la puissance de sa séduction (elle cache ses seins), car elle a franchit toutes les épreuves (les traces sales sur son ventre, peut être ce qu’il reste du passage chez les sorcières du Chaudron). Cette arcane comprend le tarot en totalité. Toutes les étapes s’y trouvent exprimées, toute la vie d’une fille de contrebande s’y trouve intégrée. Comprendre Lilith, c’est comprendre le Tarot de Lilith, car elle constitue le Tout. Modèle : Mina.

L’arcane sans nom : le passeur

Seule arcane majeure à ne pas être numérotée. Elle n’est ni le zéro, ni le XXII. Elle est pourtant le début et la fin, les passages intermédiaires. Et une voie tout à fait différente de celle que propose les arcanes numérotées. Cette lame est isolée parce qu’elle représente une expérience à part : un chemin de traverse. Le passeur se soustrait à la réalité commune des autres êtres humains, s’exclue. C’est une expérience étrange que de taillader sa chair en souriant, d’être heureuse au fond de cette souffrance. C’est la marginalité, l’exclusion, la rébellion qui ose s’affirmer dans la transgression des interdits, les violations des lois communes.

Ce peut être le suicide, la façon la plus simple d’éviter les vicissitudes d’un chemin qui semble impossible avant de l’emprunter. Ce peut être l’expérience charnelle qu’on s’apprête à subir au cours des nombreuses opérations chirurgicales nécessaires pour renaître. C’est en tout les cas le principe vital qui fait avancer les êtres, qui les aide à “passer” d’un stade à l’autre. C’est aussi celles qui montre le chemin et qui disent : “regarde petite soeur, j’y suis arrivé, suis mes traces”… Modèle : Satine of Marseille.

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