Nath-Sakura : « Le problème de Montpellier, c’est que la gestion culturelle des arts picturaux y est tragique »

Le journal « Le Nouveau Montpellier » interviewait Nath-Sakura en août 2013. Voici l’intégralité de l’article.

Nath-Sakura, de son vrai nom Nathalie Balsan-Duverneuil, est née en 1973 à Gérone (Espagne). Devenue photographe par hasard, son travail se distingue des photographies de mode classiques et font d’elle une artiste internationalement reconnue. Aujourd’hui installée à Lavérune, à côté de Montpellier, nous sommes allés la rencontrer dans son studio.

Le Nouveau Montpellier : Depuis quand vivez vous dans la région de Montpellier ?

Nath-Sakura : Depuis une vingtaine d’années, sachant que j’ai habité à Montpellier par petits bouts. J’ai fait mes études à Montpellier, donc j’ai fait khâgne, hypokhâgne et mon doctorat ici. Je suis ensuite partie à Paris où je suis restée 4 ans et je suis revenue ensuite à Montpellier. Mais je ne suis pas originaire de Montpellier puisque je suis catalane, je viens de Barcelone.

Qu’est ce que vous appréciez à Montpellier ?

La lumière. Il y a une lumière dans le Midi de la France qui n’existe nulle part ailleurs, qu’on ne retrouve même pas en Provence. En Provence, elle tire doucement vers le jaune, elle tire vers les 6000 degrés Kelvin. Ici, la lumière a l’énorme avantage qu’elle est blanche malgré le fait qu’elle est très forte, donc elle est très intéressante.

Quels sont les lieux culturels que vous fréquentez le plus souvent sur Montpellier ?

Aucun. Le problème de Montpellier c’est que la gestion culturelle y est tragique. Elle est tragique en ce sens qu’on y accepte que ce qui est déjà passé à Paris et qui a été validé par les grands cercles culturels parisiens. On y rejette tout ce qui est la contre-culture, l’autre culture, le post-modernisme. Tout ce qui est post-moderne ne passe pas à Montpellier. Il suffit de voir ce que le FRAC (Fond Régional d’Art Contemporain) achète : il n’achète que ce que le FRAC parisien ou les autres FRAC achetaient il y a 40 ans. En peinture, il suffit de voir les expositions du musée Fabre : il ne prend aucun risque, c’est tout ce qui marche depuis 200 ans. Alors on va avoir Bazille, les impressionnistes, les fauvistes mais bon, ça fait partie de tous les arts qui n’ont plus rien à prouver. Ils sont validés, contre-validés par la culture, par les critiques, ils existent, ils ont une valeur sur le marché de l’art, donc il n’y a aucun risque. En revanche, pour tout ce qui peut comporter un risque en matière d’art, il y a rien.

« Je me suis dit que j’allais créer mon propre univers. »

Comment avez-vous découvert la photographie ?

Par hasard. Je n’ai jamais fait de photos jusqu’à l’âge de 29 ans, et j’en ai 40. J’ai fait un doctorat de philosophie et quand j’ai obtenu ma thèse, je n’ai trouvé de travail nulle part, dans aucune université française. Je me suis retrouvée dans une situation où j’avais un diplôme qui ne valait rien et besoin de travailler pour gagner ma vie, et la personne avec qui j’étais à l’époque m’a trouvé une place à France Culture. J’y suis rentrée pour y faire de la photographie, donc j’ai menti, j’ai dit que j’étais photographe alors que je l’étais pas du tout, c’est comme ça que je suis devenue journaliste. J’ai travaillé pendant des années chez France Culture à faire les photographies internes de la maison de la radio. Très rapidement, je me suis intéressée à ce medium qui est devenu pour moi un art lorsque je me suis rendue compte qu’on pouvait en faire des grands reportages, qu’on pouvait se lancer dans le journalisme, dans le travail d’investigation sur la réalité, donner du sens au réel. Donc je suis partie en grand reportage, notamment pour un hebdomadaire suisse, L’Hebdo. Je me suis vraiment piquée au jeu, j’ai travaillé comme ça pendant 4 ans et puis j’ai décidé de revenir dans le Midi de la France. Cette année là, j’ai gagné un prix de journalisme à Melbourne pour un reportage que j’ai fait à Gaza. À cette occasion, j’ai rencontré Alain Plombat, directeur du groupe Midi Libre, qui m’a proposé un job. Depuis 1999, j’étais journaliste à Midi Libre. Aujourd’hui j’en suis partie et je suis libre.

Donc votre passion pour la photo vous est venue en la pratiquant ?

Elle est venue par hasard, je me suis retrouvée dans une situation où, comme j’étais rentrée sur un mensonge à France Culture, il fallait que je livre quelque chose qui tenait la route et je me suis rendue compte que c’était amusant et donc c’est comme ça que c’est venu. Le problème, c’est qu’en photojournalisme on est libre de rien : votre rédaction vous envoie à un endroit pour un événement dont vous n’avez aucune connaissance et vous ne savez pas quelles photos vous allez livrer. On ne gère rien. De temps en temps, on a du bol et parfois on en a pas. Quand on a de la profession, on arrive à sauver les meubles mais il n’en reste pas moins qu’en permanence on est obligé de s’accommoder du réel. J’en suis arrivée à une situation où, le ras-le-bol aidant, j’ai voulu créer mes univers, dire « voilà, je ne veux plus être dépendante des gens que je photographie, des lieux, de la lumière, des ambiances, de l’histoire ». Je me suis dit que j’allais créer mon propre univers mes lumières, mes ambiances, les gens que je choisis, exactement l’inverse du photojournalisme. Au début, c’était plus pour m’amuser qu’autre chose et au final, par des rencontres, par des éditeurs, par des gens avec qui j’ai pu travailler et à qui j’ai pu montrer mon travail, je me suis rendue compte que ça plaisait. Moi, ça m’amusait beaucoup donc de fil en aiguille, j’en suis venue à ne faire plus que ça.

« Le challenge, c’est d’arriver à faire en vrai ce qu’ils font en faux avec des palettes graphiques. »

Vous avez un univers artistique particulier et original : quelles sont vos sources d’inspiration ?

Tout ce qui existe, qui peut réveiller, qui peut raisonner avec moi. Je ne suis pas la continuatrice de quelqu’un ou de quelque chose, je ne m’inscris pas dans un domaine artistique donné. On m’a bloquée dans le fetish à une période de ma vie mais je ne me suis jamais sentie fetish, c’est simplement que ces matières sont très intéressantes car elles renvoient très bien la lumière. Il y aurait d’autres vêtements qui la renverraient bien, je les aurais choisis. J’ai fait du fetish par hasard : ce qui m’intéressait, c’était d’utiliser ces éléments-là pour créer les courbures, les lumières de mes photos. Tout le reste s’en suit, c’est-à-dire que mes influences ça peut être aussi bien des sensations en matière de musique, la BD des années 50 américaines, le cinéma, notamment de l’immédiat après-guerre ou du début de la guerre. Le cinéma contemporain m’intéresse aussi car il est parfait en termes de lumière : tout y est faux donc tout y est intéressant. Après, le challenge, c’est d’arriver à faire en vrai ce qu’ils font en faux avec des palettes graphiques. Toute ma photographie est faite en vrai, on fait tout en live, le but est d’obtenir la photographie à la prise de vue. Ce qui signifie un travail très patient de calibration des sources de lumière, des flashs, des textures de la lumière, qui nécessitent du temps. Mais, essentiellement, tout m’intéresse.

Vous faites des photographies très travaillées, on a l’impression que chaque détail est réfléchi : comment sont choisis les lieux et les thèmes de celles-ci ?

C’est en général quelque chose de très précis, une image s’impose à moi en cristallisant mon état d’esprit du moment. Donc là, je dis « voilà, c’est une photographie qui représente une jeune femme de 25 à 30 ans, les cheveux noirs tirés en arrière, portant des boucles d’oreilles, la lumière a une incidence de trois-quarts dans les tons blancs/bleus, elle tient un ballon et est en train de s’envoler mais des mains la retiennent avec des chaînes ». Ça, c’est l’idée. Il s’en suit des discussions avec mes assistants pour savoir comment on fait pour créer cette photo où tout va être faux mais où ça va être vrai puisque je vais le photographier sans retouches. Sachant qu’il y a des tas de photos sur lesquelles j’ai réfléchi durant des semaines, des mois, qui au final aboutissent à un flop monumental et qu’on ne présente jamais, dont on a honte et qu’on oublie très vite !

«On creuse jusqu’au moment où on trouve les choses. »

Comment se déroule une séance photo type avec vous ?

L’idéal, c’est quand on travaille sur deux jours. Les modèles arrivent la veille au soir pour qu’on apprenne à se connaître car il y a un partage qui se fait avec elles. Il faut une confiance, car ce qui fait 50% de la valeur de la photo c’est ce que la modèle a dans les yeux. Après, la modèle arrive le lendemain à 9h, on discute autour d’un café, puis on la maquille, on la coiffe, ce qui dure 4h environ. Puis la séance photo commence, jusqu’à environ 14h, on fait une pause et on enchaîne parfois jusqu’à tard dans la nuit. On creuse jusqu’au moment où on trouve les choses. Autour de moi il y a un ou deux assistants techniques, une assistante administrative pour les papiers, un coiffeur, une maquilleuse et un styliste.

Vous retouchez très peu vos photos, est ce que c’est une façon de vous démarquer ?

C’est un grand débat entre photographes. Moi je viens de l’argentique, mon travail était de développer les photos. Il y avait un long travail de réflexion pour savoir comment on allait faire les photos, et comment on allait les développer pour obtenir le résultat qu’on veut. Aujourd’hui, c’est pareil, on fait une photo et on la développe. Avec Lightroom et le format RAW, tu peux ajuster toutes les variables de ta photo et donc la développer au mieux. Mon travail de développement, c’est d’utiliser les choix de réglage que j’ai fait à la prise de vue pour ensuite les développer comme je souhaite que soit la photo. Pour certains photographes c’est de la retouche, mais pas pour moi parce que je considère que quand on fait une photo on sait déjà comment on va la traiter. Pour moi ce n’est pas de la retouche mais seulement du développement. Mon challenge, c’est de faire la photo d’entrée. Ça a aussi l’avantage d’être économique, car si je fais un catalogue aujourd’hui, je peux le livrer demain. Donc c’est pas pour pouvoir dire que je suis meilleure que les autres, mais pour revenir aux sources de la photographie. En plus, j’aime pas l’informatique, je préfère m’amuser avec mes appareils photo.

Si vous deviez définir votre travail en un mot ?

Contradictoire. Ma photographie, de même que la photographie de tout le monde, c’est sans arrêt quelque chose qui se remet en cause. D’une photo à l’autre, j’essaie de raconter quelque chose de complètement différent.

Source : https://www.lenouveaumontpellier.fr/nath-sakura-le-probleme-de-montpellier-cest-que-la-gestion-culturelle-y-est-tragique/

 

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