LES SANGLOTS ARDENTS DE NATH SAKURA par Jean-Paul Gavard-Perret

Jean-Paul Gavard-Perret, est un poète, critique et maître de conférences en communication à l´Université de Savoie.Il a écrit un texte sur Nath-Sakura pour « Le Musée Privé ».

Nath Sakura sait que l’oeuvre n’est que le résultat d’un travail. C’est pourquoi, renonçant à la peinture pour laquelle elle ne se sentait pas prête, l’artiste est devenue photographe. L’érotisme de son travail s’élève contre tout effet de simplification. Certes il n’existe pas de  coercition dans ses monstrations. Pour autant tout n’est pas donné à voir.

La Barcelonaise rapproche son travail d’un certain art nippon à la fois dans sa contextualisation que dans son raffinement. Le désir « enfermé » n’en devient que plus cuisant tant pas les poses, les couleurs et les mises en scène. Le (relatif) peu de nudité offerte crée une autre « étendue ». L’œil s’éprend du corps de la femme qui devient à la fois rosier, seringa,  palmier, hortensias, plantes d’été. Mais le  regard n’en vient pas à bout. Les arrangements instaurés par Nath Sakura  font de chaque création photographique un volontaire inaccomplissement, un contre-chant par l’intensité voulue mais retenue et le rythme des formes afin de créer des variations. Elles participent au monde rêvé.

Mais rêver n’est pas jouer. Le corps qui emporte le regard n’est plus celui de la béatitude exaltante. Un rien « bariolé »  le corps féminin apprend à se méfier de sa propre séduction. C’est plus par une vue de l’esprit que par la simple perception que l’artiste le suggère. Le « réalisme » ou plutôt la figuration rapproche inconsciemment d’un souffle de l’origine, de la « nuit sexuelle » qui tente, tant que faire se peut, de se respirer ailleurs que par ce qui est suggéré.

Comme le rien nous échappons donc au corps tout en n’étant rien sans lui. Il est notre rien d’autre. Il reste notre insondable priorité d’origine même s’il reste un ailleurs exotique ou d’exil. Son impossible approche atteste l’absolu du rien. Mais en même temps il le nie. Et c’est bien là toute la force des photographies de Nath Sakura. Elles deviennent à ce titre et parfaitement  « Les sanglots ardents » dont parlait Baudelaire.

Un lien existe entre le sujet vu et celui qui le regarde. Mais cette connexion ne se prête à une lecture immédiate. La photographe ménage des errements ou des « oublis », des intransigeances ou des omissions. Le corps photographié est sans doute désirable néanmoins  aucune offensive n’est possible face à lui. C’est d’ailleurs ce dont Barthes rêvait pour la photographie érotique. En elle et selon lui le désir a nécessairement un objet mais il convient à un artiste de ne pas en faire un objet.

Cela n’est pas simple. Toutefois Nath Sakura réussit à trouver une sidération insécable de la  désideration. Il en va ainsi du désir de l’œuvre que le désir ouvre en son travail. Il n’en signifie par l’arrête mais l’ouverture de l’ouverture : nudité offerte, étendue non consommée où l’histoire apparaît, ressuscite une nouvelle mémoire.  Si bien qu’on se demande s’il  ne faut pas chercher l’ombre du miroir sous la photographie…

Celle-ci abrite un vide dont l’écho la suit. La photographie devient le miroir brisé du simulacre. Elle est la vision remisée et l’aveu contrarié. C’est pourquoi on recouvre parfois les miroirs comme l’artiste voile les corps : afin que le temps ne glisse plus dessus, qu’il se retienne comme un désir. Plus besoin de tourner le dos : comme un fantôme lui-même gagne sa fuite.

Jean-Paul Gavard-Perret

Source : http://www.le-musee-prive.com/index.php/photographie/photo-contemporaine/970-nath-sakura-photos.html

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